"Avez vous vu le loup ? lui oui..."
Propos recueillis auprès d' Edmond de Mauléon,
Fils des propriétaires de Montevran, parc zoologique de Chaumont sur Tharonne.
Une histoire extraordinaire de 1963.
Nous sommes début mai, nous sommes en 1963. Je n’ai qu'à peine 3 ans. Mes parents ont un parc animalier en plein cœur de la Sologne avec notamment des loups du Canada. Je quitte ma sieste et échappe ainsi à toute surveillance pour rejoindre mon père qui dispensait des soins à d'autres animaux. Sur mon parcours, je longe les espaces réservés aux loups, côté soigneurs à des horaires pendant lesquels les animaux se reposent. L'un d'entre eux est surpris et bondit vers moi. Il m'agrippe mon manteau, me plaque contre la porte grillagée et me saisit ensuite au visage. La face droite est terriblement arrachée. La meute s'est mise alors à hurler ce qui était anormale à cette heure de la journée. Ceci a attiré l’attention de mon père qui m’alors aperçu le visage ensanglanté, titubant en essayant de revenir sur mes pas, mon manteau en lambeaux…
Hospitalisé d'urgence dans une clinique d’Orléans, j'ai été pris en charge par un ancien chirurgien de guerre, le docteur Chapelet (si des orléanais ou des habitants du Loiret prennent connaissance de cette histoire, il mérite d'être nommé). Il me fit une greffe "posée" avec un maximum de précisions sans en garantir le succès. Un prêtre passant dans les couloirs m’a donné alors les sacrements des malades, comme quoi, j’étais mal foutu, ayant perdu beaucoup de sang. S'en suivirent des semaines de soins et de surveillance pour que cette greffe prenne. Interdiction de rire, de sourire, de pleurer. Mes parents me tenaient la tête pendant mon sommeil afin que rien ne bouge sous les pansements. J'ai grandi avec mes cicatrices, j'ai grandi avec le flash de ce loup bondissant, sans aucun souvenir de douleurs, mais surtout avec un profond respect pour cet Homme qui m' a donné l'occasion de rire sourire ou m'émouvoir à tout instant dans la vie qui s'est offerte à moi et que je prend encore à bras le corps. Nous nous sommes revus en 1972, il voulait finir son boulot et faire tout disparaitre. Mes parents ont dit non, moi aussi d'ailleurs Le temps à fait son action. Ce loup est mort quelques années plus tard de sa belle mort. Son trophée m’a été offert par mon père.
Mai 2008...45 après l’accident, il m'est demandé d'accueillir et d'organiser une visite commentée de mon espace animalier pour un groupe de médecins de la région, à la retraite. La visite se passe dans de bonnes conditions, ils avaient cassé la croute dans une auberge locale, j'étais pressé, on va à l'essentiel de mon exposé et de la présentation, jusqu'au moment ou l'un des invités me demande si je n'envisageais pas d'avoir des loups dans mes structures. Ma réponse fût bien évidement non. J’ai argumenté tout en disant que ma fascination pour ces animaux était viscérale. J'évoque mon accident pour conclure cette sortie, tout en soulignant le fait que si " aujourd'hui je peux m' adresser à vous c'est grâce à l’un de vos confrères et surtout anciens" compte tenu des années écoulées. J'oublie alors le nom de ce chirurgien, c'est alors que quelqu'un dans le groupe cite le nom du Docteur Chapelet. C'est effectivement lui, dis-je en précisant qu'il ne doit plus être de ce monde. "Détrompez-vous" me répond-on," il a aujourd'hui 94 ans, il est le président d’honneur de notre association et nous lui rendons compte tous les jeudis de nos activités". Mon visage s'est mis à tremblé, rougir d'émotion. J'étais troublé, tout autant que mes interlocuteurs. J'ai alors dit:" Dites au Docteur Chapelet que vous avez été reçu chez Edmond de Mauléon, l' enfant dévisagé par un loup à l' âge de 3 ans et que grâce à lui, je peux rire , sourire, m'émouvoir, que je vous demande de lui transmettre respect, gratitude et affection, tout ce en quoi mes parents m' avaient inculqué à son égard". Ce sera chose faites me dit mon interlocuteur pas plus tard que demain, je vous rendrais compte de nos échanges". J'attendais avec impatience son appel téléphonique... 45 ans après.Coup de téléphone. "Monsieur, comme convenu, je vous tiens informé de ce qui s'est passé suite à notre visite chez vous. J'ai bien eu le Docteur Chapelet au téléphone, je n'ai pas pût attendre l''heure habituel de nos échanges téléphoniques tant l'évènement méritait d'être partagé, sa fille me l’a passé, il se reposait, allongé sur son lit. J'ai évoqué de manière aussi précise que possible, vos propos, c'est alors que j’ai entendu un râle qui m’a paru très long, le combiné téléphonique est tombé sur sa poitrine...il venait de mourir"...". Je suis allé à ses obsèques dans une église du Loiret, bondée. J’ai été très impressionné, jusqu'au moment où un vieux prêtre de 94 ans est arrivé avec un déambulateur pour dire quelques mots, soutenus par des membres de la famille. A travers ses propos, j'ai compris que c'était lui qui, 45 ans plus tôt m’avait donné le sacrement suprême des malades. J'ai signé le registre de condoléances: Merci pour tout, si je peux sourire, tire et m’émouvoir aujourd'hui, c'est grâce à vous, et si je pleure c'est aussi grâce et à cause de vous."
Vous comprendrez mieux pourquoi il faut saisir les bons moments de la vie et de passer cette même volonté à notre entourage.
On ne se fait pas seul, on ne se répare pas seul...